Le livre écorné de ma vie

Après Les attracteurs de Rose Street et Abimagique, Le livre écorné de ma vie est la troisième novella de Lucius Shepard à paraître dans la désormais inévitable collection Une Heure-Lumière des éditions Le Bélial’. Publiée en 2021, il s’agit du numéro 32 de la collection et c’est un titre que j’allais inévitablement lire un jour tant j’apprécie le style et l’audace de son auteur. C’est désormais chose faîte et voici ce que j’en ai pensé…

Un texte violent et crasse…

Si les deux autres récits de l’auteurs parus dans la collection étaient très différents mais assez atypiques pour ne pas pas forcément plaire à tout le monde, Le livre écorné de ma vie est sans doute le plus clivant des trois. L’auteur réalise ici une véritable expérience littéraire en proposant un récit qui flirte avec plusieurs genres, tout en conservant un certain flou permanent qui ne rend pas toujours l’intrigue très claire. On ne sait pas vraiment vers quoi l’auteur cherche à nous emmener. Il use également de différents éléments de décalage qui apporte un léger malaise qui, lui, correspond à son univers mais peuvent désarçonner. Outre le fait que ce n’est un texte parfaitement accessible, ce n’est certainement pas une novella tout public puisqu’elle constitue une plongée dans le vice. Débauche, violence, comportements dépravés, scènes dérangeantes peuplent ainsi cette novella qui poisse d’une ambiance glauque mais néanmoins fascinante qui nous colle à la peau. On est plongé dans un certain malaise tout au long de la lecture, que ce soit par les légers décalages sur l’univers, par les comportements des personnages ou encore les pensées tortueuses de Cradle. J’avais été prévenu et j’ai donc attendu un moment propice pour m’y plonger. Et je le confirme, il vaut mieux avoir le moral au moment d’amorcer la plongée dans les eaux poisseuses de cette novella. 

« Ces cinq jours sur le Mékong m’avaient fait changer d’une façon que je ne pouvais comprendre qu’en me référant au roman de Cradle 2. En fait, je ne tenais plus tellement à comprendre celui-ci, me contentant de voguer vers le sud en ruminant et en baisant. Je sentais quelque chose suppurer en moi, quelque ancienne amertume en train de métastases, qui faisait saillir ses griffes noires pour les planter dans mes entrailles et m’encourageait à la furie ; toutefois je n‘avais aucune cible à portée de main. »

… qui nous fascine 

Un des grands talents de Lucius Shepard est de parvenir à créer des ambiances très marquantes qui emprisonnent le lectorat un peu contre son gré créant un mélange étonnant de malaise et de dépendance. J’avais déjà ressenti cela avec force dans Abimagique d’ailleurs. Il réussit, par sa plume machiavélique, à nous fasciner même lorsque nous sommes dérangés. On perçoit ici pleinement l’angoisse mêlé d’une curiosité maladive du personnage principal pour son double. Et bien qu’on déteste assez immédiatement ce Thomas Cradle, qui ne fait pas grand chose pour qu’on l’apprécie soyons honnêtes, l’auteur arrive à nous faire ressentir la même fascination irrépressible pour cette histoire. Je reste néanmoins moins emballée que pour les autres textes de l’auteur, non pas vraiment à cause des éléments violents/dérageants qui peuvent vraiment bloquer beaucoup de personnes, mais plutôt à cause de l’opacité qui se maintient jusqu’au bout et qui me laisse un goût de déception. Il faut aussi dire que lire ce texte juste après Aucune terre n’est promise, roman formidable avec lequel il partage un aspect, n’est pas une bon timing puisque la comparaison peut être en sa défaveur…

« Il y a toujours quelqu'un pour t'exploiter, de sorte que liberté et esclavage ne sont que des couleurs dont nous parons la condition humaine fondamentale. »

En bref, Le livre écorné de ma vie est une novella dérangeante qui nous plonge au coeur d’une expérience littéraire lors d’un voyage au coeur d’un monde vicié. Violent, dérangeant, parfois opaque, c’est un texte qui ne plaira pas à tout le monde mais qui exerce, malgré tout, une certaine fascination sur le lectorat. Nul doute que c’est un texte qui demande plusieurs lectures pour en saisir toute la richesse. C’est en tout cas, encore une fois avec Lucius Shepard, une novella à l’ambiance si particulière qu’elle ne nous lâche pas une fois la dernière page tournée. 

« Auteur à succès, Thomas Cradle se découvre par hasard un homonyme romancier dont il ne savait rien. Intrigué, il se procure l’unique ouvrage de ce dernier, et réalise bientôt qu’au-delà de leur patronyme, les deux hommes partagent une date de naissance identique, sont nés dans la même ville et ont fréquenté la même université… La lecture de l’ouvrage achève de convaincre Cradle du caractère fascinant de sa découverte, les points communs sont trop nombreux, trop évidents : il lui faut partir sur les traces de cet autre Cradle. Et pour ce faire, une seule destination : le Mékong et ses méandres, entre Laos et Viêt Nam — comme un écho aux motifs d’un narrateur bien plus toxique qu’il n’y paraît… Jusqu’au cœur des ténèbres, en somme, jusqu’à déchirer le voile d’une réalité impensable.»

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

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[Lecture n°5/108 (pour l'échelon 5 Synchronisation avec la page) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 10 de Ma lecturothèque]

- Lecture 36 pour le Challenge Winter short stories of SFFF de Célinedanaë -