La maison dans laquelle

La maison dans laquelle est un roman fantastique assez inclassable de l’autrice arménienne russophone Mariam Petrosyan publié en 2009 en version originale. Il fut traduit par Raphaëlle Pache pour une publication aux éditions Monsieur Toussaint Louverture en 2016, avant republication en 2020. Il paraît en livre audio, lu par Julien Allouf chez Audible l’année suivante. C’est dans ce format que j’ai décidé de découvrir cet ouvrage aussi attirant qu’énigmatique. Et voici ce que j’en ai pensé…

« " Un sourire, mon petit, avait expliqué Elan, c'est ce qu'il y a de meilleur chez l'homme. Tu n'es pas vraiment un homme tant que tu ne sais pas sourire.

- Montre moi" lui avait demandé l'aveugle….»

Se perdre mais pourtant toujours revenir

Que dire ? Comment expliquer que je n’ai aucune idée de comment définir ma lecture tout en vous disant qu’elle m’aura profondément marqué ? Quels termes employer pour vous donner, vous aussi, l’envie de vous plonger au cœur de la Maison en acceptant la perte de repères, les doutes et le fait de ne pas en ressortir tout à fait indemne ? Ce roman est un livre-monde teinté de fantastique mais aussi de légendes, de contes et de drames. Il nous parle d’adolescence, de handicap, de micro-sociétés aux règles incompréhensibles, d’espoirs et de trahisons mais surtout, surtout, du pouvoir de l’imaginaire. Mariam Petrosyan propose un roman terriblement déroutant, où rien n’est certain, pas même la notion de réalité, où les personnages et leurs pseudonymes évoluent et changent et où les vérités se cachent probablement en creux des énoncés les plus confus et les plus fous. Elle nous plonge dans ce lieu qui fait office de petit monde, avec ses lois et ses hiérarchies, sans boussole, à la recherche de repères. Et pourtant, aussi déroutée que je le fus, je n’ai jamais pu décrocher de cette œuvre fascinante qui dit beaucoup mais suggère encore plus. Car progressivement, on se construit nos propres références, on associe certains évènements les uns aux autres et on comprend la Maison, sans jamais la saisir tout à fait. Tout comme Fumeur et Sauterelle, on est d’abord des nouveaux qui doivent encore explorer et prendre nos marques dans ce roman, ce qui se fait de manière logique et progressive par l’attachement que l’on portera aux personnalités hautes en couleurs qui peuplent ces lieux. On rit, on s’émeut, on s’interroge aussi et on se laisse emporter sous une plume jamais dénuée de poésie.

« La maison exige une forme d'attachement mêlée d'inquiétude. Du mystère. Du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, elle gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes... C'est une divinité puissante et capricieuse, et s'il y a quelque chose qu'elle n'aime pas, c'est qu'on chercher à la simplifier avec des mots. Ce genre de comportement se paie toujours.»

Grandir et imaginer

Mais alors de quoi est-ce que ça parle ? La Maison dans laquelle c’est le récit choral d’adolescents et enfants souffrant d’un handicap qui résident dans une sorte de pensionnat décrépi selon des règles édictées depuis on ne sait quand par on ne sait qui. Différents groupes, comme des factions, correspondant à des dortoirs, dont on découvre essentiellement la vie hors des classes plutôt qu’autre chose. Leurs relations, leurs histoires et légendes, leurs conflits et surtout leurs secrets. C’est un roman indescriptible qui nous parle de ce que c’est de de grandir et de devoir se construire une carapace face à un monde qui nous rejette. Il nous parle aussi de la difficulté de faire sa place, d’exister pour soi mais surtout aux yeux des autres, et de l’échappée (parfois périlleuse) que peut offrir l’imagination. C’est à la fois terriblement déroutant parce que ça ne ressemble à rien de ce qu’on a l’habitude de lire et indéniablement fascinant. La Maison se fait décor de théâtre et ses résidents, tous et toutes dans l’exagération, semblent jouer une pièce perpétuelle mais néanmoins parfois cruellement réelle. Et bien que certaines choses nous échapperont toujours à la lecture, on en retient un attachement pour ces ados parfois totalement malsains mais pourtant touchants. J’ai terminé ce livre sans vraiment pouvoir le définir mais tout en sachant qu’il me restera en tête toutes les impressions que son écoute a pu imprimer dans mon esprit, surtout avec son épilogue bouleversant et remarquable. Un peu à la manière d’un Vita Nostra…

En bref, La Maison dans laquelle est un livre-monde fascinant, grandiose et pourtant indescriptible et déroutant. Récit d’adolescents en pensionnat pour personnes souffrant d’un handicap, recueil de légendes et de faits rocambolesques et fantastiques, roman sur le fait de grandir et de s’échapper du monde, ouvrage en huis-clos aux dimensions infinies… c’est une œuvre surprenante qui marquera longtemps ma mémoire.

« Dans la Maison, vous allez perdre vos repères, votre nom et votre vie d’avant. Dans la Maison, vous vous ferez des amis, vous vous ferez des ennemis. Dans la Maison, vous mènerez des combats, vous perdrez des guerres. Dans la Maison, vous connaîtrez l’amour, vous connaîtrez la peur, vous découvrirez des endroits dont vous ne soupçonniez pas l’existence, et même quand vous serez seul, ça ne sera jamais vraiment le cas. Dans la Maison, aucun mur ne peut vous arrêter, le temps ne s’écoule pas toujours comme il le devrait, et la Loi y est impitoyable. Dans la Maison, vous atteindrez vos dix-huit ans transformé à jamais et effrayé à l’idée de devoir la quitter.

Ensorcelante évocation de l’adolescence, La Maison dans laquelle est un chant d’amour à cet âge ingrat et bienheureux, à ses exaltations et ses tragédies, au sentiment de frustration et de toute-puissance qui le traverse. Mariam Petrosyan a réussi à créer un univers bariolé, vivant et réaliste, pétri de cette nostalgie et de cet émerveillement que nous avons tous au fond de nous et qui fait que, parfois, nous refusons de grandir et d’affronter la brutalité du monde qu’on appelle la réalité.»

(Illustration de couverture : ? )

[Diversité: pp handicapé.e physique - en fauteuil, pp manchot, ps handicapé.e physique - en fauteuil roulant, ps handicapé.e physique - membre amputé, ps aveugle, ps bossu, ps neuro atypique]

> Content warning <

D’autres avis dans la blogosphère: Zoe prend la plume a vécu une belle expérience de lecture, Sometimes a book a été frustrée, la Geekosophe a beaucoup aimé cette lecture .…

[Lecture n°42 (46/84 points avec les bonus pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 11 de Ma lecturothèque]