Nos cœurs disparus

Nos cœurs disparus est le nouveau roman de l’autrice Celeste Ng publié en août dernier aux éditions Sonatine. Dystopie glaçante sur l’Amérique de demain mais aussi récit du lien parent-enfant, le roman connaît pour l’instant un beau succès critique et avait retenu toute mon attention dans la multitude de la rentrée littéraire. Voici ce que j’en ai pensé…

« Elle faisait toujours ça, lui raconter des histoires. Ouvrir des brèches par où la magie pouvait s’insinuer, faisant du monde un lieu de tous les possibles. Après son départ, il avait cessé de croire à ces fables, des rêves vaporeux et mensongers qui se désintégraient à la lumière du matin.»

Patriotisme, ordre public, censure

L’Amérique de demain imaginée par Celeste Ng est terrifiante. Terrifiante pour ce qu’elle est devenue, à savoir un état où l’ordre se maintient dans la répression la plus totale, dans la censure des œuvres, des actes et des gens eux-mêmes et sous couvert d’un patriotisme et d’une paix pour tous et toutes qui cache l’injustice. Mais surtout terrifiante par son réalisme et l’actualité de certains faits dans l’histoire passée et présente de nos sociétés. Nos cœurs disparus nous dépeint une société où, profitant de la souffrance d’un peuple, d’horribles lois, notamment racistes, sont autorisées à passer. Des lois liberticides aux dérives atroces où le maintien de l’ordre s’exerce de la pire des manières : par la pression que vos enfants peuvent vous être retirés si l’on vous juge anti-patriotique. C’est dans ce contexte glaçant que nous découvrons l’histoire de Bird, jeune garçon dont la mère, Margaret, a disparu lorsque ses poèmes furent utilisés pour des manifestations. Un monde que l’on découvre à hauteur d’enfant à qui on inculque chaque jour l’importance de cet état d’ordre, à qui on apprend à baisser la tête et à ne pas faire de vagues, à ne jamais se faire remarquer, surtout pas avec son visage métissé. Mais un monde qui le questionne malgré tout, qui l’interpelle et où sa mère lui manque. Formidablement écrit, le roman est une mise en garde féroce sur les dérives autoritaires et patriotiques que nous connaissons mais également une leçon sur l’histoire et le racisme qui s’exerce d’une manière terrible quand il inflige à des familles des séparations qui ne devraient pas être tolérées tant elles sont insupportables. C’est aussi une belle leçon sur le pouvoir de l’art et des mots comme outil de lutte pour faire bouger les choses.

« Ce serait trop antipatriotique, n’est-ce pas, de vous raconter les choses horribles que notre pays a faites par le passé. Les camps d’internement pour Japonais à Manzanar, ou ce qui se passe à la frontière mexicaine. On vous apprend sûrement que la plupart des propriétaires de plantations étaient gentils avec leurs esclaves, et que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, non? Parce que vous dire la vérité, ce serait encourager des opinions anti-américaines, et c’est ce qu’on veut éviter à tout prix.»

Filiation, amour et lutte

Nos cœurs disparus c’est aussi et avant tout une histoire d’amour filial. C’est un roman qui évoque avec force le lien qui unit des parents avec leur enfant, de ce que cet amour est capable de nous faire faire, y compris parfois aux détriments de notre propre bien-être. Avec l’histoire de Margaret, l’autrice propose une réflexion riche sur cette dichotomie qui existe parfois dans un régime totalitaire entre l’envie de lutter pour ses valeurs et le besoin irrépressible de protéger les siens et donc, souvent, plier le genou. Le roman propose une magnifique leçon sur cette question en mettant en balance la nécessité d’offrir un monde plus juste pour ses enfants et l’impossibilité de fermer les yeux quand l’injustice nous a été contée. C’est bouleversant de justesse sous la plume de Celeste Ng. Elle met également en avant la beauté et l’intensité des luttes pacifistes qui semblent souvent si vaines mais qui font pourtant progressivement germer les idées de l’injustice qui nous entoure et de la nécessité de lutter. Nos cœurs disparus participe à cet appel à la lutte en nous contant une histoire fictive qui se fait pourtant l’écho de milliers d’autres trop réelles. Mais il participe également à verser de la beauté dans l’horreur pour réenchanter le monde et rappeler le pouvoir des histoires et des émotions. J’ai trouvé cette histoire touchante et belle et je ne peux que vous la recommander.

« Je crois que tout le monde peut blesser quelqu’un, finit par répondre Sadie, du moment qu’il a une vraie bonne raison.»

En bref, formidable roman sur le racisme, les dérives autoritaires actuelles et la beauté du militantisme pacifique, Nos cœurs disparus est également un magnifique récit d’amour filial. Entre volonté pour lutter pour ses valeurs et nécessité de protéger les siens, le récit de Margaret est une histoire bouleversante qui porte en creux la volonté d’un monde plus juste, réenchanté par les histoires. Coup de cœur.

« États-Unis d’Amérique, dans un futur pas si lointain. L'existence de tous est rythmée par des lois liberticides. Tout citoyen de culture étrangère est considéré comme dangereux pour la société.

Les livres tenus pour séditieux sont retirés des bibliothèques. À commencer par ceux de la poétesse Margaret Miu, disparue mystérieusement trois ans plus tôt. Bien décidé à la retrouver, son fils, Bird, aidé par un réseau clandestin de bibliothécaires, va peu à peu prendre conscience du sort des opprimés et de la nécessité impérieuse de porter leur voix.»

(Illustration de couverture: © Rémi Pépin)

[Diversité: pp métis.se, ps métis.se, pp asiatique - chinois.e, ps asiatique, ps noir.e]

> Content warning <

[Lecture n°54 (58/84 points avec les bonus pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 11 de Ma lecturothèque]