Evasion

Parmi les parutions de le rentrée littéraire, il y en a une qui a attiré mon regard d’abord visuellement, avec la magnifique couverture signée Owen Gent, puis par son résumé très accrocheur évoquant une chasse à l’homme dans les Rocheuses. Il s’agit du troisième roman de Benjamin Whitmer intitulé Évasion et publié dans la collection Americana des éditions Gallmeister. Ce roman est accompagné d’une préface de Pierre Lemaître qui nous promet une formidable lecture. Et alors, la promesse est-elle tenue ?

" Ce monde n'est pas fait pour que vous vous en évadiez. Ce monde est fait pour tenir votre coeur captif le temps qu'il faut pour le broyer."

Puissant

Sans suspens, je l’affirme, Évasion est un grand coup de cœur, autant qu’un coup dans le cœur. Car Benjamin Whitmer maîtrise les mots à la perfection, jouant avec un style à la fois brutal et poétique. Sans concession, son écriture tranche directement dans l’âme sans s’encombrer de l’inutile, mais parvient à conserver une beauté envoûtante. Et s’il s’agit bien d’un roman noir, viscéralement violent dans son propos, on retient surtout l’exquis sens de la formule et la poésie qui s'en dégage. Cette plume à la fois noire et lumineuse souligne l’ambivalence constante des personnages qui oscillent sans cesse entre leurs failles et leurs fantasmes, leur violence et leur désespoir. Ces personnages, malgré leur grand nombre, sont d’ailleurs tous creusés et nuancés et la traque va les révéler, exacerber leur rage autant que leurs failles. Il sont si criants de vérité que l'on finit par s’attacher à certains (Oh Jim ! Oh Mopar !), ressentant la noirceur de leur existence au plus profond de nous-mêmes. Car dans la ville-prison d’Old Lonesome, personne n’est vraiment libre, et personne n’est vraiment heureux. Les murs s’étendent au-delà de ceux de la prison et la violence, elle, est partout, particulièrement dans le cœur des hommes qu'elle dévore peu à peu.

" Les traces d'homme dans la neige sont toujours déplacées. Les bons sabots fendus d'un cerf, les deux points et les tirets d'un rat-kangourou, ces traces-là ont du sens. Mais des traces d'homme dans la neige, ça signifie qu'il va se passer quelque chose."

Immersif

Ce qui est particulièrement admirable avec ce roman, c’est qu’il est passionnant, alors même qu’il ne se passe pas grand-chose. Benjamin Whitmer est un formidable conteur. Son intrigue a beau se résumer en quelques lignes, il arrive à nous accrocher au récit sur plus de 400 pages sans nous faire ressentir une seule once d’ennui. Il m’était impossible de reposer ce livre tant j’étais emportée et envoûtée dans ce roman d’une puissance évocatrice rare. L’immersion, surtout, est absolue. On ressent le froid, mais surtout la noirceur de la nuit de traque qui, comme la tempête, est autant extérieure qu’intérieure aux personnages. Ce roman interpelle au plus profond de notre âme, nous emporte dans les Rocheuses et dans cette chasse à l’homme qui nous confronte à la part la plus sombre de l’humanité. On ressent également pleinement l’ambiance si particulière de ces parties isolées de l’Amérique qui évoluent selon un autre rythme et une autre mentalité que les grandes villes dynamiques. Pierre Lemaître promettait que ceux qui allaient ici découvrir Benjamin Whitmer serait épaté. Et il avait raison.

" Le soleil s'est couché et il ne reste plus rien à voir du crépuscule. Ce qui ne signifie pas que ce soit déjà tout à fait la nuit noire. C'est un truc que Stanley à l'âge d'avoir appris. Les choses deviennent toujours plus noires. Quiconque n'a pas compris ça vit dans un autre monde. Ou bien est un gamin."

En bref, Évasion est un roman brut, passionnant, immersif, envoûtant, féroce, noir, puissant et beau. Ce récit est tout épatant de réalisme et de force et j’en ressors à la fois émue et convaincue que je dois poursuivre ma découverte de l’auteur.

"1968. Le soir du Réveillon, douze détenus s’évadent de la prison d’Old Lonesome, autour de laquelle vit toute une petite ville du Colorado encerclée par les montagnes Rocheuses. L’évènement secoue ses habitants, et une véritable machine de guerre se met en branle afin de ramener les prisonniers… morts ou vifs. À leurs trousses, se lancent les gardes de la prison et un traqueur hors pair, les journalistes locaux soucieux d’en tirer une bonne histoire, mais aussi une trafiquante d’herbe décidée à retrouver son cousin avant les flics… De leur côté, les évadés, séparés, suivent des pistes différentes en pleine nuit et sous un blizzard impitoyable. Très vite, une onde de violence incontrôlable se propage sur leur chemin."

(Illustration de couverture: © Owen Gent)

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