Contes de fées queer

Sorti en janvier 2024 aux éditions Payot, Contes de fées queer est un petit recueil de 4 contes d’Henriette-Julie de Castelnau de Murat publiés dans différents recueils au cours de sa vie au XVIIème et XVIIIème siècle. Ces quatre textes sont précédés d’une préface de Sylvie Robic sur la vie de l’autrice mais aussi sur le geste queer associé aujourd’hui à son œuvre. Voici ce que j’en ai pensé…

« Elle lui donna le nom de Peine perdue, prévoyant bien qu’elle ne le mériterait que trop ; sa science lui ayant appris tous les malheurs que l’amour préparait à cette chère fille. »

Une femme à découvrir

Tout d’abord, ce recueil n’aurait pas la même saveur sans sa préface hautement instructive sur la vie et l’œuvre de Madame de Murat. J’ai découvert une existence de femme n’aspirant qu’à la liberté qui s’est amusée à explorer les limites du genre, que ce soit dans ses frontières réelles que celles construites socialement, à travers le merveilleux. J’ai découvert l’existence d’une rebelle qui aspirait à l’épique de son existence mais qui s’est vite retrouvée emprisonnée à l’exil et qui ne réussissait son évasion que dans l’imaginaire (malgré une belle tentative habillée en homme!). Cela a évidemment permis d’éclairer quelques points dans ma lecture de ses contes mais aussi de comprendre que sa modernité évidemment en décalage avec son époque se traduisait à merveille dans l’exploration du genre merveilleux. Les littératures de l’imaginaire sont depuis toujours une terre d’expression pour la marge et ce recueil le prouve une fois de plus. Rien que pour la découverte d’Henriette-Julie de Castelnau de Murat, lire Contes de fées queer vaut la peine. La préface explore, en outre, l’aspect queer des textes qu’elle précède, tentant d’analyser le sens des mots de Madame de Murat tout en replaçant leurs limites dans l’époque où ils furent écrits.

« Le roi embrassa Constantine, et la princesse, qui l’avait tant aimée comme Constantin, ne l’aimait pas moins comme Constantine.»

Quatre contes

Dans les 4 textes repris dans ce recueil, Madame de Murat explore différents sujets, de l’hétéronormativité au patriarcat en passant même par la fluidité de genre. Bien que restant majoritairement dans une binarité de genre et des relations hommes-femmes in fine, les contes explorent le possible avec une ouverture d’esprit très moderne. Ils font montre, en outre, d’un féminisme bien présent en proposant des personnages féminins qui choisissent, qui s’aventurent et même qui se rebellent. Les récits conservent majoritairement leur caractéristiques classiques de conte de fées traditionnels mais modernisent les rapports de genre avec délice. Ainsi, dans Le roi porc, Madame de Murat souligne qu’une femme, contrairement à ce qu’on dit, sait parfaitement se taire. Elle est maîtresse de son choix également en matière d’époux. Dans Le Sauvage, conte le plus formidable du recueil selon moi, la personnage principale se travestit en homme, change de nom et le pronom qui la définit évolue avec ce changement dans une modernité narrative incroyable. On y décèle aussi toute la soif de vivre de l’autrice, son goût de la liberté, et cela donne un texte vivifiant où l’héroïne a le pouvoir sur sa vie. Dans L’aigle au beau bec, récit peut-être moins directement subversif du recueil (quoique), les femmes se jouent pourtant de l’homme qui soit la rejette, soit la courtise. Dans Peine perdue, on change à nouveau de registre. Il y a ici une mélancolie que ne contiennent pas autant les autres récits. Dernier texte de Madame de Murat, il parle d’amour non partagé, de désenchantements, de désillusions et il nous touche évidement tant il semble retranscrire une fin de vie bien triste pour son autrice qui n’aura finalement été libérée que quelques mois avant de mourir. Ce ne sont peut-être pas les plus beaux contes que j’ai pu lire mais ils tiennent une place toute particulière déjà dans mon cœur pour ce geste queer si avant-gardiste et pour leur rôle d’échappatoire pour leur autrice. Il y a beaucoup d’émotions dans ces quatre récits, beaucoup de choses dites sous le couvert du merveilleux. Et c’était un plaisir de les lire.

« Les fées se retirèrent, et la princesse fit bien voir qu’il n’est pas toujours vrai que les femmes soient incapables de se taire, car elle ne dit rien de ce qui s’était passé entre elle et les fées.»

En bref, le recueil Contes de fées queer est un petit délice. Non seulement, il met en avant une autrice et une femme qui ne mérite vraiment pas l’oubli mais il nous offre aussi une entrée dans le merveilleux féminin du XVIIIème où l’exploration des genres et de leurs limites est très vivifiante. J’ai eu grand plaisir à la découverte de ces textes, en particulier Le sauvage pour son optimisme.

« À la fin du XVIIe siècle, Mme de Murat est une jeune aristocrate poursuivie et emprisonnée pour lesbianisme pendant près de treize ans. Elle invente aussi, avec d’autres consœurs romancières, la forme littéraire du conte de fées. Au sein de ce collectif de conteuses, elle est celle qui revendique le plus la solidarité féminine et la sororité d’une bande de « fées modernes » intrépides et transgressives. Celle aussi qui expérimente de la manière la plus inventive une écriture du trouble et de l’indifférenciation. Un véritable geste queer, où rien n’est figé, où la magie des métamorphoses met à nu la fabrique des identités de sexe ou de genre. Où grâce au filtre ludique de la féerie, Mme de Murat réussit à convertir en une formidable puissance créatrice sa marginalité sexuelle et sociale.»

(Illustration de couverture: © LF)

[Diversité: pp trans, pp bisexuel.le, ps gay, ps bisexuel.le]

[Lecture n°11 (14/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque]